ITV avec Madièye MBODJ, vice-président de PASTEF : «On assiste aujourd’hui à un régime de terreur»…

Vice-président du parti Pastef dissout, Madièye Mbodj, qui fait partie du cercle restreint des conseillers de Ousmane Sonko, est d’avis que le projet est toujours viable malgré cette répression du régime. Dans cet entretien, cet éminent membre de la gauche sénégalaise aborde un certain nombre de points comme celui portant sur la justice, le recul démocratique du Sénégal…  

WalfQuotidien : En tant que responsable chargé de la vie politique de Pastef, quel commentaire faites-vous de la dissolution de votre parti? 

Madièye MBODJ: Dans la presse on parle de l’ex Pastef parce que, dit-on, il y a un décret de dissolution du parti. Pour nous, ce décret n’est pas tout à fait accompli dans la mesure où nous avons décidé de l’attaquer devant les juridictions compétentes. Nous avons commis nos conseils juridiques pour prendre en compte l’ensemble des éléments qui vont fonder notre requête. Dans un premier temps, nous allons faire un référé pour la suspension de cette décision. La deuxième requête sera un recours pour une annulation du décret de dissolution. Cela donnera ce que ça donnera parce que c’est leur justice, leur droit, leur loi… 

 «La justice sénégalaise c’est celle des classes dominantes »

Vous croyez jusqu’à présent à cette justice? 

Nous avons une formation idéologique qui nous permet de voir les choses en termes de rapport des classes. Nous pensons et continuons de penser que la justice sénégalaise c’est celle des classes dominantes. Ce n’est pas la justice des pauvres, du peuple. Ils imposent leur loi, leur droit. Aujourd’hui, la leçon politique que Macky Sall nous a administrée c’est que la justice qui est là est celle de ses tribunaux, ses procureurs … ils sont là pour le protéger. Ils ne sont pas là pour protéger le Sénégal et assurer la sécurité des Sénégalais. 

Malgré la dissolution du parti et l’incarcération de son leader et de l’aile dure du parti, l’avenir de Pastef c’est quoi ? 

Pastef c’est un projet. Au-delà d’un projet, c’est une vision. C’est un espoir dans lequel se reconnaissent des milliers de Sénégalais et d’Africains.

Je suis sur la scène politique depuis plus de 50 ans, nous nous sommes réclamés de la gauche et nous avons fait ce qu’on a pu avec nos forces et nos faiblesses, mais nous avons tenu à rester sur la même trajectoire et les mêmes orientations parce que nous sommes convaincus que c’est la défense des intérêts du peuple qui est l’essentiel de notre engagement politique. Ce n’est pas quelques privilèges personnels et quelques strapontins mais comment faire pour assurer le bonheur des Sénégalais dans une Afrique unie, prospère, indépendante et souveraine. C’est cela le projet. Et cela on ne peut pas l’ôter de l’esprit et du cœur des millions de Sénégalais. Ce projet, il vit et il vivra.

Ce n’est pas parce qu’on a pris un papier avec un cachet que le projet partira. C’est impossible. On ne peut pas faire disparaître ce projet. On ne peut pas tuer un esprit, une vision surtout si cette vision a pénétré les masses populaires. Pour nous, l’essentiel est de continuer à croire au projet, à poursuivre les recours au niveau des juridictions compétentes. Mais aussi c’est un combat politique au-delà des questions juridiques. Il faut que nous trouvions les moyens politiques de mener notre combat que ce soit à travers la prochaine élection présidentielle de 2024. 

 Comment en est-on arrivé à cette situation marquée par l’incarcération de Sonko et la dissolution du parti ? 

C’est une série d’injustices et de pratiques anti-démocratiques qui se sont exacerbées depuis 2021. Ousmane Sonko, je l’ai connu dans les années 2015-2016 quelques années après la création de Pastef en 2014. J’étais dans Yonnu Askan Wi, mouvement pour l’autonomie populaire fondé en 2008 bien avant le Pastef. Si on remonte plus loin, nous étions dans And Jef dans la clandestinité sous Senghor. Nous sommes présents sur le terrain politique depuis très longtemps. (…) En 2016 déjà Ousmane Sonko a été radié de la fonction publique parce qu’en 2015 nous avions commencé à faire la critique d’un certain nombre d’orientations liées au franc Cfa, aux accords de partenariat économiques…

Nous avons fait ensemble la campagne contre le référendum pour voter «Non» parce que le référendum proposé par le président Macky Sall prenait le contrepied des recommandations des Assises nationales. Il s’est permis de prendre en compte un certain nombre d’éléments qui ne remettaient pas en cause l’esprit de la Constitution de 1963. C’est cette même constitution qui date de l’éviction de Mamadou Dia qui est encore en vigueur au Sénégal reposant essentielle sur la toute puissance du chef de l’Etat. 

«Tout a été fait pour que Ousmane Sonko ne soit pas candidat à la présidentielle de 2024»

On parle même d’hyper présidentialisme 

Le doyen feu Abdoulaye Ly disait présidentialisme néo coloniale. C’est en vérité un seul homme : le président de la République qui se subordonne tous les pouvoirs – exécutif, judiciaire et législatif – à la fois. Nous avons combattu cela et sommes allés ensemble aux législatives de 2017 dans le cadre d’une coalition appelée Ndawi Askan Wi. C’est cette coalition qui a amené Ousmane Sonko à l’Assemblée nationale et lui a donné une tribune pour amplifier ses critiques contre le pouvoir.

C’est à partir de ce moment que les tenants les plus farouches du pouvoir se sont dits que celui-là, c’est quelqu’un à éliminer. A partir de ce moment, ils ont entrepris des actions pour le liquider politiquement. Avec ces résultats à la présidentielle de 2019, il y a eu un complot d’Etat pour le mettre out. Tout a été fait pour que Ousmane Sonko ne soit pas candidat à la présidentielle de 2024.

Ils ont trouvé toutes sortes de subterfuges y compris la condamnation pour le délit de «corruption à la jeunesse», condamnation pour diffamation contre un ministre que des gens avaient déjà accusé, des personnalités de la société civile ont écrit un livre sur la manière dont a été pillée la boite qui lui a été confiée. Ce qu’ils ont chargé, c’est son inéligibilité pour qu’il ne se présente pas. La dernière affaire après les dossiers Adj Sarr et Mame Mbaye Niang, c’est cette affaire de terrorisme parce que tous ces chefs d’accusations brandies se résument au terrorisme pour le mettre en prison et obtenir son inéligibilité. Chaque fois qu’ils ont essayé, ils ont échoué. Avec la dissolution de Pastef, nous sommes en recul de 63 ans de notre démocratie. Ce sont des faits et il n’y a aucun fait qu’on peut mettre sur le dos de Ousmane Sonko ou de Pastef pour dire que ce sont eux qui sont les auteurs de la violence, d’actions terroristes… Nous sommes pour la paix. Après les évènements de mars 2021, il a tenu une conférence pour appeler à la paix soutenant qu’on avait la possibilité de faire sortir Macky Sall du palais mais laissons le terminer son mandat. Il l’avait dit le 8 mars 2021. 

«On nous a parlé de gestion sobre et vertueuse alors qu’on a assisté à une gestion sombre et vicieuse du Sénégal. Ils ne veulent pas rendre compte de cette gestion».

Et quelle est la conséquence de tout cela ? 

La démocratie sénégalaise est à nue. L’image du Sénégal n’a jamais été aussi vilipendée et décriée en Afrique et dans le monde. Récemment la société civile a tenu une conférence de presse montrant que le Sénégal avec plus de 1 000 détenus politiques est le premier pays en matière de détention politique. Le Sénégal qui était une vitrine démocratique, son image est ternie pour simplement les intérêts égoïstes d’un clan, d’une famille… qui veulent s’accrocher au pouvoir parce qu’ils ne veulent pas rendre compte de leur gestion calamiteuse du pays.

On nous a parlé de gestion sobre et vertueuse alors qu’on a assisté à une gestion sombre et vicieuse du Sénégal. Ils ne veulent pas rendre compte de cette gestion. Deuxièmement, il y a en vue les perspectives des ressources naturelles immenses. Ils pensent qu’il leur appartient à eux de gérer ces ressources. C’est pourquoi ils s’accrochent au pouvoir. On assiste aujourd’hui à un régime de terreur. Aujourd’hui, il n’y a aucune liberté qui est reconnue aux formations politiques légalement constituées.

Vous voulez organiser une conférence de presse dans votre permanence, on vous chasse et on ferme la permanence. Les forces de défense et de sécurité qui sont aujourd’hui des forces de répression ont fermé le siège après l’arrestation de Sonko.

D’autres partis de l’opposition qui sont dans Yewwi (le Pur, le Prp), on leur empêche de tenir des conférences de presse dans leur siège. C’est l’expression d’un régime de terreur, à la limite de dictature. C’est dommage pour le Sénégal. 

Rédacteur en Chef

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