«la faiblesse de la démocratie sénégalaise, c’est le déficit de débat public»

Si la démocratie sénégalaise présente une grande faiblesse, c’est le déficit de débat public. La dégradation de notre démocratie viendrait de là.

Si la démocratie sénégalaise présente une grande faiblesse, c’est le déficit de débat public. La dégradation de notre démocratie viendrait de là. C’est la forte conviction du président de la Commission d’évaluation des politiques et programmes publics du Sénégal (CESPPP), El Hadj Ibrahima Sall. Selon lui, le débat public au Sénégal n’est ni organisé, ni formalisé au Sénégal. Il pense qu’il appartient aux acteurs politiques, pouvoir comme opposition, à la société civile, au Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) et surtout à la presse de formaliser l’instauration du débat public qui est une condition de la pacification de la démocratie sénégalaise.

El Hadj Ibrahima Sall estime que la tête de liste de Benno Bokk Yakaar a bel et bien raison de ne pas dialoguer avec Ousmane Sonko du Pastef. « Ce dialogue est inopportun » dit-il parce que Mme Aminata Touré est tête de liste alors qu’Ousmane Sonko ne l’est pas. L’ancien ministre du Plan du président Abdou Diouf pense que le débat public permet de faire respirer une démocratie jugée avancée. C’est une nécessité, une condition sine qua non. L’absence de débat public est donc un paradoxe de la démocratie sénégalaise. Elle s’explique par plusieurs raisons selon l’ancien ministre. El Hadj Ibrahima Sall tient néanmoins à dire haut et fort qu’il est prêt à débattre avec Ousmane Sonko après les législatives sur toutes les questions suscitant un intérêt au sein de l’opinion et du leader de Pastef.

LE TEMOIN : M. le ministre, vous soutenez que la démocratie sénégalaise souffre d’une absence de débat public entre acteurs. Voulez-vous vous expliquer plus clairement ? El Hadj Ibrahima Sall

C’est en effet un paradoxe qu’une société démocratique et de tradition orale comme la nôtre ne privilégie pas le débat public qui est le nœud de toute démocratie. Il en constitue, en principe, la condition sine qua non. Cela me semble lié à plusieurs raisons. Tout d’abord, notre culture politique et nos traditions sociales qui en sont le soubassement ne semblent pas faire obligation aux dirigeants de rendre compte au peuple de la gestion des affaires publiques. Celui qui dirige bénéficie en principe de la confiance de la population et se croit, de facto, dispensé de défendre son bilan et de rendre compte de sa gestion. Ensuite, le faible niveau de conscience politique des citoyens fait que les confrontations d’idées dans l’espace public sont jugées secondaires par les électeurs. Enfin, l’absence d’évaluation crédible des politiques publiques et de données fiables rend quasi impossible une appréciation objective de l’action publique.

Il s’y ajoute l’incapacité de la presse à animer et à arbitrer, pour l’opinion publique, les confrontations d’idées sans oublier le niveau faible des dirigeants politiques. Devant la conjonction de tant de facteurs,
on comprend aisément que le pouvoir se contente de gérer sans toujours rendre compte, et que l’opposition, faible et nihiliste, choisisse les raccourcis et des slogans en lieu et place de programmes précis, réalistes et crédibles.

Le débat démocratique est-il un bon baromètre pour apprécier la qualité d’une démocratie ? Si oui, que représente le débat démocratique au Sénégal ?

Dans toutes les démocraties avancées, le débat public est une nécessité. En effet, il permet de cerner de manière contradictoire les problèmes et de leur apporter des solutions. Le débat public est à la démocratie ce que l’information est au marché. Au demeurant, les acteurs politiques sont assimilables à des entreprises en compétition, dont le sort dépend de la disponibilité d’une information complète, fluide et transparente sur les produits qu’ils offrent, assimilés aux programmes politiques, afin de permettre aux
électeurs de faire les meilleurs choix possibles. Ainsi, le débat public joue à la fois un rôle de commissaire-priseur sur les marchés politiques et de régulateur.

C’est pour cette raison que la presse, en aidant à la disponibilité de cette information, constitue un pilier majeur de la démocratie. En un mot, le débat public permet d’éclairer les choix des électeurs et d’améliorer la qualité de la démocratie. C’est pourquoi, en bonne logique économique, le déficit de débat public se traduit soit par un niveau abstentionniste élevé, soit par des choix électoraux non éclairés. En définitive, le débat public participe au bien-être collectif. C’est la garantie d’un équilibre socio politique de qualité.

Le débat public ne doit-il intervenir qu’en temps de campagne électorale ou, au contraire, devrait-il être une réalité permanente de l’animation démocratique du Sénégal ?

Le débat public dans une démocratie doit être permanent. Nous devons avoir des institutions qui régulent ce débat et qui font que, pendant toute l’année, ce débat soit possible. Il y a deux types de débats. Le débat contradictoire entre candidats doit être organisé par la presse au sens large y compris le CNRA. Mais les débats sur les politiques publiques comme le TER qui doit passer par Rufisque obligeant les populations de la vieille ville à s’y prononcer, sont organisés par l’Etat. Ce qu’on appelle des conférences citoyennes sur les grands projets d’investissements de l’Etat.

Est-ce que les émissions politiques observées dans les télés privées et à la RTS peuvent-elles être rangées dans la catégorie de débats publics ?

Les formats des émissions politiques vues dans les télés privées et à la RTS sont de très mauvais formats qui dégradent la qualité du débat public. Si nous voulons avoir un débat politique véritablement de grande qualité, la presse doit commencer à mettre un format bien organisé. Si c’est un débat public contra dictoire, le format doit commencer par proposer des thèmes encadrés dans un intervalle de temps. Cela veut va dire que si El Hadji Ibrahima Sall et Ousmane Sonko doivent discuter, ils vont discuter par exemple de quatre thèmes principaux comme la défense, l’emploi, la société, l’économie. Chacun de ces points aura droit à 20 mn. Comme quand le journaliste fait son protocole d’interview, il doit avoir un protocole de débats. Les candidats le regardent et le valident.

La deuxième phase sera que chacun envoie son spécialiste en communication pour discuter du décor, la mise en place, la prise de vue des écrans. Un débat public, c’est un temps prédéfini, les temps de parole définis, la désignation de deux journalistes, un pour chaque débatteur. De tels formats n’existent pas au Sénégal. Les émissions de télés ne sont que des « wakh sa xalat ». Des émissions où personne n’écoute personne, les gens ne préparent pas leurs documents, les thèmes ne sont pas connus. Il n’y a pas une évaluation des politiques publiques pour que les hommes politiques puissent les prendre en charge pour en débattre. L’enjeu majeur de la démocratie sénégalaise, c’est le débat public qui permet de pacifier l’espace public, de ne pas se donner des coups de poings et de ne pas s’insulter.

La dégradation de notre démocratie vient du fait qu’il y un déficit de débat public. C’est la presse, le CNRA et la CENA qui doivent animer les débats publics. Et même la loi électorale devait prévoir le nombre de débats qu’un parti politique doit avoir avant de prétendre à se présenter à la candidature de la présidence de la République. Le candidat à la présidence doit avoir un minimum de 5 débats pour qu’on puisse vérifier ses projets et ses programmes.

Ousmane Sonko ne doit pas prétendre à diriger le Sénégal sans se soumettre à un débat sur sa vie. Abdoulaye Wade a au moins débattu une fois avec Moustapha Niasse. Personne ne doit pouvoir prétendre accéder au pouvoir sans vouloir débattre pour présenter ses projets et programmes politiques aux Sénégalais. Macky Sall a accédé au pouvoir sans débattre. Ousmane Sonko risque d’accéder au pouvoir sans débattre. Ce n’est pas possible. Il faut que les gens comprennent que le pays a évolué et qu’ils ne peuvent accéder au pouvoir sans défendre leurs projets. Il faut qu’ils défendent leurs projets.

M. le Ministre, Ousmane Sonko a invité Madame Aminata Touré à un débat politique. Cette dernière a posé des conditions. Quel commentaire faites-vous sur cette invite et les conditions posées ?

Il ne m’appartient pas de porter une appréciation sur ces préalables de madame Aminata Touré qui conduit la liste de BBY. Mais je comprends que Madame Aminata Touré, tête de liste ne veuille pas être divertie, en pleine campagne, par un acteur qui n’est pas investi sur une liste concurrente. A mon avis, ce débat est inopportun.

Vous semblez esquiver la question comme Mimi Touré l’a esquivée en posant des préalables ou conditions à Ousmane Sonko. Est-ce une fuite en avant de Mimi Touré ?

Je ne dis pas que le débat n’est pas fondé, n’est pas possible. Je dis que le débat n’est pas opportun, c’est le temps. Opportun renvoie à la campagne actuelle. En pleine campagne quelqu’un qui est tête de liste ne peut pas discuter avec quelqu’un qui ne l’est pas. C’est une perte de temps. Je ne crois pas que Mme Ami-
nata Touré s’est débinée, elle ne peut pas répondre à une invitation d’une personne qui n’est pas tête de liste d’une coalition. Si l’invitation venait d’autres têtes de listes de coalition, j’aurais pu comprendre. Au passage, elle est la seule à répondre à cette question. Mme Aminata Touré, je le répète, le débat n’est

Temoin

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